Le maire d’Eygurande et Gardedeuil m’avait soumis l’idée de venir avec le troupeau sur sa commune pour pâturer les abords des chemins forestiers et petites routes peu fréquentés. J’aime les expériences, alors j’ai dit oui, mais j’avais des doutes: est-ce que les brebis vont manger à leur faim? est-ce qu’on va pouvoir les tenir, les faire marcher lentement? Notre fonctionnement jusqu’ici ne prévoyait pas de déambuler sur les routes mais d’aller de A à B.
Enfin c’est parti. Un beau matin nous avons pris la ligne de gaz pour aller à Fontblanche. Justement il faisait particulièrement froid ce matin là, les saints de glaces, et plus on se rapprochait de notre point de chute, plus les fougères, les pousses de chênes, et pour finir même les fleurs d’Asphodèle avaient pris un coup de gel. Le froid laisse les brebis assez indifférents, elles ont leur laine.
Bien sûr, la veille il y a la dernière mise bas! le petit fait de son mieux pour suivre, et nous voilà partis en terrain inconnu. Nous sommes tout excités, cela fait un moment que nous n’avons pas été vers de nouveaux horizons.
La ballade est belle et tranquille, les brebis avancent tout en mangeant, on commence à s’entraîner pour notre mission. On arrive, on les parque, et le lendemain matin c’est parti. Il y a un dédale de chemin forestiers à parcourir depuis Fontblanche, de quoi voir comment ça se passe. Les brebis font comme prévu, elles avancent dans l’idée de trouver du pâturage au bout de route. Je les freine avec le fouet et les chiens. Eux aussi ont plus l’habitude de pousser derrière que de freiner devant.
Petit à petit le nouveau fonctionnement se met en place: les brebis ralentissent, s’étalent au bord du chemin, les chiens les freinent sans les tourner, on prend un rythme. Après quelques jours nous voilà sur les petites routes. Je mets des panneaux « Danger Troupeau » d’un bout et de l’autre du tronçon que nous allons occuper quelques heures dans la matinée de façon que les rares automobilistes puissent soit faire le tour, soit prendre patience et attendre que le troupeau passe.
Autant les chemins forestiers étaient tranquilles, autant les bord de routes sont riches en herbes différents. Mais il faut faire attention que les brebis ne débordent pas dans les prés de fauche. Les quelques voitures qui passent ont le sourire, enfin leurs conducteurs. Cela rassure, car je me dis, que peut-être la population n’est pas tout à fait conquis à l’idée des crottes sur la route, et des abords moins nets. En croisant le maire mes doutes sont tout à fait dissipés, il a eu beaucoup de retours positifs. Les gens aiment nous rencontrer, nous voir faire.
La découverte la plus étonnante pour moi est de constater qu’il est possible de nourrir un troupeau rien que sur les bords de routes. Cela me procure un sentiment de liberté extraordinaire. Quoi qu’il arrive, on trouvera toujours de l’herbe pour nos brebis, même en pleine sécheresse. Et notre principale occupation est justement….l’herbe. Riche, pauvre, diversifié, molle, nourrissante, épaisse….
Pour finir je vous mets un petit texte lu par là dans un très beau livre sur la transhumance:
Ils vont,
cérémonieux,
héritiers d’une culture,
au rythme indéformable
et multimillénaire,
baïle de tête
comme un berger en chef
dans la dignité d’un stratège
et l’anxiété du commandement….