J’ai retranscrit l’article de Maéva Louis, car à Dordogne Libre ils ne mettent pas leurs articles en ligne.
Thérèse, une bergère sans terre qui ne suit pas le troupeau
Un transfert de 10 km avec une bergère nomade et ses 500 brebis, sur les routes de la Double
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Thérèse Kohler est bergère sans terre dans la Double depuis huit ans.
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Elle déplace ses brebis au gré des prés qui lui sont prêtés, attachée à sa liberté et à son indépendance.
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DL a suivi cette éleveuse unique en Dordogne, le temps d’une transhumance riche en réflexion.
Maéva LOUIS
Il est 7 heures, en ce frais mercredi de juillet. Thérèse Kohler ouvre la porte de sa camionnette garée devant une ferme de Saint-André-de-Double. Trois borders collies tout fous s’en échappent et, tels des employés modèles, courent se mettre au travail, littéralement. L’œil vif et la langue pendante, les chiens tournent à toute vitesse autour du troupeau pour le rassembler en un groupe compact.
Aujourd’hui, les 300 brebis et leurs 200 agneaux déménagent dans un pâturage à 10 kilomètres de là, dans le village d’Echourgnac. Un périple qui n’a rien d’inhabituel, puisque Thérèse est une bergère sans terre. Elle déplace son troupeau fréquemment, au gré des terrains qu’on lui prête. Une pratique unique en Dordogne.
Bâton crochu en main, l’éleveuse de 51 ans se met en route, ses protégées trottant à bonne allure derrière elle. En chemin, elles cassent la croûte, se bousculant dans les fossés pour croquer un arbuste ou une touffe d’herbe. « Devant, il y a celles qui marchent bien, et derrière, les boiteuses », rigole Thérèse. Elle crie « Devant ! » ou » Derrière ! » à ses chiens Mizli, Elie et Lenz, pour qu’ils remettent dans le rang les indisciplinées tandis que son patou, Matou, inspecte les environs pour prévenir d’éventuels dangers: chiens errants, voleurs, ou même… loups. Thérèse est convaincue que d’ici peu, ce dernier recolonisera la Dordogne, alors elle préfère prendre les devants.
Cette vie particulière, la robuste Echourgnacoise aux longs cheveux châtains et à l’accent allemand l’a choisie il y a huit ans. « Au départ, c’est parce que je n’avais pas d’argent pour m’installer, Et après, c’est parce que ça me plaît tellement! J’aime ça , arriver dans les contrées…. »
» Ce projet-là m’a aidée à me reconstruire «
Ses doutes quant à la viabilité du projet ont vite été balayés: les propositions affluent pour accueillir son troupeau, qui fait office de tondeuse efficace et écolo. Et sa qualité d’étrangère – elle n’a jamais demandé la nationalité française – n’a pas joué conter elle. « Je ne pourrai jamais assez remercier les gens et ce pays. Les Doublauds sont des gens vraiment accueillants, quand ils voient que quelqu’un a vraiment envie, ils marchent avec lui. Mais il ne faut pas arriver en vainqueur… «
Sur sa vie d’avant, Thérèse est peu bavarde. Née en Suisse, dans le canton de Berne, elle est arrivée en France il y a plus de trente ans. » Avant ça, j’avais une ferme avec le père de mes enfants, en Gironde. Accident de parcours, et je suis arrivée dans la Double « , résume-t-elle. Elle mène son exploitation seule. » Ce projet-là, ça m’a aidée à me reconstruire. ça m’a prouvé que je sais faire ça , avoir une entreprise, élever mes enfants… »
Là, au grand air, au milieu de se animaux, Thérèse est heureuse. » C’est ça qui est beau, des troupeaux de bêtes ! ça manque dans nos paysages « , s’illumine-t-elle alors que le cortège bêlant longe un champ de vaches.
Un élevage d’avenir ?
Femme de convictions, adepte d’un mode de vie simple, Thérèse réfléchit beaucoup au sens de son métier et de l’agriculture en général. Elle est convaincue que sa méthode de fonctionnement est » dans l’air du temps « , avec des animaux vivant en extérieur, été comme hiver, et se nourrissant exclusivement de ce que la forêt de la Double a à offrir: herbe, feuilles, lierre, glands… Ce qui est impossible dans un élevage sédentaire, où les ressources naturelles s’épuisent vite. De plus, les déplacements réguliers maintiennent les bêtes en bonne santé: » Elles ont peu de maladies « , constate leur propriétaire. » ça peut être une forme d’élevage du futur, parce que c’est une façon de produire de la viande sans avoir à produire des protéines végétales pour les nourrir, sur des terres qui pourraient servir à de la production pour les humains » , croit-elle. A l’idée de se fixer, elle sursaute: « Oh non ! Je ne pourrais pas tenir une ferme, les toitures, les tracteurs.. »
Le troupeau avance sans broncher sur les petites routes, coupant parfois à travers champ. Seul le passage sur la départementale reliant Ribérac à Montpon est un peu délicat. Jacky, un ami, ouvre la voie avec sa camionnette et lorsqu’un véhicule se présente, les brebis parquent plus ou moins sagement sur le côté.
Pourquoi a-t-elle choisi des moutons? « J’aime les brebis, s’enthousiasme Thérèse. Elles ont une façon de vivre exemplaire. Elles prennent ce qu’il y a, ne se plaignent pas, et n’ont pas de hiérarchie comme les chèvres. Elles se marient bien avec le paysage et sont dociles. »
« Beaucoup perdent le lien avec la nature »
La bergère leur confère un rôle presque sacré: » Les animaux domestiques, c’est le lien avec la faune sauvage. Ce que je reproche aux gens qui disent qu’on mange trop de viande, qu’il y a des scandales dans les abattoirs, etc., c’est que si on allait dans ce sens-là, on perdrait le lien avec les animaux. Beaucoup de gens perdent lien avec la nature. «
Après trois heures d’effort, les brebis atteignent leur nouvelle maison provisoire : un champ non fauché, sur lequel elles feront halte deux nuits, avant de repartir le vendredi,(hier soir), direction la fête de la forêt de la Double, qui a lieu aujourd’hui à Saint-Barthélémy-de -Bellegarde. Le week-end dernier, elles avaient déjà participé à la fête des épouvantails de saint-André-de-Double, essentiellement pour servir de décor. Parce qu’n plus d’être sympas, les brebis sont belles. Elles ont décdidément tout pour plaire.
Une activité rentable, mais solitaire
Thérèse Kohler exploite son troupeau uniquement en vendant les agneaux. » Au début, je voulais faire une production de lait, mais c’est une autre histoire ! La journée ne serait pas assez longue « , rit-elle. Elle a aussi renoncé à la laine, pas assez rentable.
La vente d’agneaux, en revanche, lui permet de gagner décemment sa vie. il en naît environ 300 par an, et chacun lui rapporte une centaine d’euros. La bergère les envoie à l’abattoir de Ribérac, puis à un boucher. Elle fait également de la vente directe.
« J’ai aussi un projet de fabrication de tapis et chapeaux en laine « , dévoile-t-elle. Et eile voudrait développer la production de merguez. » Il faut que je m’y attelle. Mais je ne suis pas bonne commerçante du tout ! «
Un appel à se lancer
Surtout, Thérèse rêve que des éleveurs suivent sont exemple. « J’aimerais qu’on soit un groupe de bergers à faire ça. On pourrait s’entraider, mettre nos troupeaux ensemble pour souffler un peu. »
Elle invite donc quiconque aime les bêtes et la nature à se lancer. Sans foncier, l’investissement de départ est relativement modeste : 20 00 € pour un troupeau de 200 brebis, 1000 € de matériel et quelques chiens de berger à 500 € en moyenne » J’ai zéro dette, je ne dois rien à personne « , s’enorgueillit Thérèse prête à parrainer les volontaires qui voudraient tenter l’aventure.
SARLAIDAIS
Le pastoralisme relancé en Périgord noir
Depuis 2010, la chambre d’agriculture de Dordogne oeuvre pour relancer le pastoralisme en Périgord noir. Cette tradition consiste à déplacer les troupeaux dans les bois, les landes et les friches pour entretenir le paysage, nourrir les bêtes et lutter en même temps contre le risque incendie.
« Nous avons fait le constat qu’il y avait une déprise agricole importante, qui entraîne une fermeture des terrains, explique Bernadette Boisvert, conseillère agricole au sein de la chambre. C’est tout un tas de clairières et vallées qui sont en train de se fermer complètement. C’est une économie agricole en moins, et il peut y avoir un impact vis-à-vis du tourisme : le paysage s’uniformise, il y a du petit patrimoine qu’on ne voit plus. «
Une bergerie communautaire
la chambre d’agriculture s’est donc inspirée de ce qui se fait ailleurs, notamment dans le Lot, où la tradition pastorale est plus développée. Une opération test a eu lieu en août 2011, à Campagnac et Saint-Pompon. Ces communes ont reçu des troupeaux afin d’observer l’impact du pâturage sur des zones en friches des landes embroussaillées ou des zones boisées. L’occasion de sensibiliser les éleveurs et de démontrer l’intérêt de ces pratiques, tant en termes d’engraissement que d’alternative au système céréales traditionnel.
La chambre d’agriculture a en outre obtenu de préfecture le classement du quart sud-est du département en zone pastorale, « une zone avec de forts enjeux de fermeture et des coteaux calcaires « , écalaire Bernadette Boisvert. Ce qui a permis la création de quatre associations foncières pastorales (AFP), dont le but est d’inciter des éleveurs à se lancer dans la production ovine, grâce à une accompagnement et des aides.
C’est ainsi que la communauté de communes Domme-Villefranche-du-Périgord à acheté, en 2015, 8 hectares de foncier et y a construit une bergerie. Elle la loue à un couple d’éleveurs de brebis originaire de la Drôme, qui s’est engagé à pratiquer le pastoralisme.
« L’élevage ovin redevient une option »
« L’élevage ovin était un peu le partent pauvre de l’agriculture en Dordogne, et peu à peu, il redevient une option pour des gens qui veulent se reconvertir, constate avec satisfaction Bernadette Boisvert. On a eu plusieurs reconversions faites ou en projet, notamment chez des éleveurs bovins viande. Notre action à contribué à réhabiliter l’élevage ovin dans le département. «
Quant au cas de Thérèse Kohler, il reste » une exception « , souligne la conseillère, qui pointe un bémol: » Sans foncier, on ne peut pas bénéifcier d’aides de la PAC ou autre. On a absolument aucune garantie. « Ne dépendre ni d’aides ni de quiconque, c’est précisément ce qui plaît à la bergère sans terre.